Voici un nouvel écrit. Vous verrez... rien à voir avec un conte mais je voulais écrire ce récit. Cette période pour moi est difficile pour plein de raisons. Permettez-moi de faire de cet écrit une petite parenthèse dans "les contes".
Le voici. Il s'appelle "Un certain Télévie..."
« Un certain ‘Télévie… »- « Bonsoir Monsieur et Madame. L’infirmière m’a dit que vous vouliez me voir de toute urgence. Je vous écoute. »
Philippe et Chantale tremblaient de peur. Leur ‘petit homme’ de 2,5ans était hospitalisé depuis maintenant trois semaines et dépérissait sans que quiconque n’arrive à enrayer cette chute en enfer. Philippe, conducteur de bus, essayait de tenir le haut du pavé comme l’expression le disait, afin de maintenir le contrôle sur sa vie, sur la vie de tous les membres de sa petite famille. Son petit bébé avait été diagnostiqué leucémique il y avait à peine un mois et le professeur qui le soignait allait tenter de le rassurer lui. Son épouse, les larmes plein les yeux, tenait ses deux mains jointes afin de ne pas trop montrer que son stress l’avait complètement envahie.
- « Oui Monsieur le professeur » dit le papa. « Je ne vous cache pas que nous paniquons. Le gamin pleure sans que nous puissions le soulager. Même les bras de sa maman ne suffisent plus. Il est faible, d’une pâleur blême et il maigrit tellement. Croyez-vous qu’il soit nécessaire de l’opérer dès demain ? Il est si… faible. »
Le docteur, retira ses lunettes et les déposa calmement sur son bureau, comme s’il voulait, par ce geste lent, prendre du recul. Se levant et allant rejoindre Chantale dont il prit les mains, dit :
- « Vous devez rester confiants tous deux. Je sais que c’est difficile et que vous souffrez mais je me dois de lui faire cet examen. Sans une biopsie de la moelle, je ne peux évaluer la gravité du moment. Vous comprenez ? »
La maman du petit Bruno chercha du regard le soutien de son époux. Celui-ci répliqua :
- « Nous vous comprenons. »
Philippe se leva et alla se placer face à la fenêtre tentant d’échapper au questionnement du médecin. Il regarda sans conviction la beauté du parc se trouvant au centre du complexe hospitalier. Des petits patients y jouaient et il ne put s’empêcher de penser qu’à son arrivée, Bruno avait marché sur cette belle pelouse verte. Pendant qu’un enfant, le crâne rasé, s’amusait à la balançoire, ses parents discutaient assis sur un banc non loin de lui. Phil remarqua que les deux jeunes parents s’expliquaient beaucoup avec les mains et que leurs gestes saccadés laissaient présager de la dureté de leur échange verbal. Pendant qu’il essayait de comprendre leur propos, il ne remarqua pas que le professeur était venu se placer derrière lui. Celui-ci dit :
- « Ce sont les parents de la petite Cindy que vous voyez là-bas. Ils sont passés par le même cheminement que le vôtre. Si vous voulez, je vais leur demander de vous expliquer ce qui vous devez attendre de la suite du traitement »
Chantale rejoignit son mari et dit :
- « Faites ce prélèvement mais promettez-moi que je pourrai rester auprès de lui. »
- « Madame, je ne peux vous autoriser d’entrer au bloc mais je vous autorise, pour l’instant, à rester avec lui, dans sa chambre. »
- « Pour l’instant ??? Pourquoi… Vous allez nous interdire également de rester auprès de lui ??? »
Philippe prit sa femme dans ses bras et regardant le médecin par-dessus son épaule dit :
- « Sauvez-le nous… c’est tout ce que nous vous demandons. »
Pendant que ce couple vivait leur pire minute de la journée, et à l’autre bout de la ville, quatre personnages importants de milieux différents se parlaient autour d’une tasse de café.
- « Arsène, dis-moi si cela te semble réalisable ? »
Arsène Burny, éminent chercheur wallon habitant Gembloux, éclata de rire, puis regarda intensément ses trois interlocuteurs, Mr le Comte De Launoit, président de RTL, Mr Jean-Charles De Keyser, Directeur Général de la chaîne et Mr Delcomminette, Directeur des programmes. Reprenant ses esprits et d’un ton intéressé et convaincu dit :
- « Si il y a un espoir de récolter quelques milliers de francs pour nous aider, si votre chaîne télévisée peut chapeauter cette soirée, si vous garantissez la transparence durant toute l’opération, alors… alors oui, je pense qu’il y a des opportunités à saisir pour que le monde médical vous suive dans cette aventure. Mais, et je dis bien mais, je ne ferai rien sans l’autorisation préalable du FNRS. Vous savez que j’exige la perfection. Je ne veux aucun intermédiaire… J’exige que tout franc donné soit un franc versé à la recherche. Il n’y aura aucune alternative à cette réalité. »
Le Comte De Launoit acquiesça et tendit la main au Professeur Burny en disant :
- « Et bien, nous sommes tous d’accord. RTL sera ‘LE’ Media qu’il vous faut – à vous chercheurs – pour promouvoir cette aventure. Dès à présent Jean-Charles, je veux que tu mettes tout en œuvre pour qu’Arsène puisse dire l’année prochaine que nous avons été un outil utile et indispensable. Et si nous organisions cette soirée télévisée fin avril ? Qu’en dites-vous mes amis ? »
Jean-Paul Delcomminette consulta son calendrier plus que chargé. Il regarda ses collègues puis proposa :
- « Au vu de l’agenda des programmes, il y a un créneau disponible le 15 avril. C’est un samedi. C’est très bon cela pour l’audience le samedi… Allez va pour ce jour-là. Par contre, il nous faut une campagne de promotion et donc des reportages. Je penche sur l’interaction entre le peuple et la chaîne. Si nous offrons le support, il est important que les acteurs soient des gens comme toi, comme moi, comme nous tous. »
Et voilà le ‘Télévie’ lancé sur ses rails. Entre leur rencontre et le moment choisi, il n’y avait que quelques mois d’intervalle et tant de choses devaient être établies et contractuellement fixées. Arsène mit en contact les plus grands hôpitaux nationaux avec les dirigeants de RTL afin que les intervenants de parts et d’autres puissent s’entendre sur ce qui pourrait être dit à l’antenne et ce qui devrait simplement être suggéré voir même omis sans que cela ne pose préjudice à l’opération tout fraîchement créée. Des équipes de journalistes se rendirent dans les cliniques et hôpitaux afin de récolter les informations nécessaires à la fabrication des reportages médicaux. Ces derniers furent au final validés par les malades, les différentes familles, les médecins et les dirigeants de RTL avant d’être mis ‘en boîte’ comme le jargon journalistique l’appelait. De son côté, le pouvoir organisateur de la chaîne télévisée s’était octroyé les faveurs d’énormes sociétés nationales désireuses d’aider l’opération en offrant un don conséquent, à la condition d’être citées lors de la soirée de clôture. La société nationale des chemins de fer, celle de la gestion de l’eau et de l’électricité, du gaz, les grandes entreprises du pays de tout niveau, des écoles, des lycées, des associations sans but lucratif, des comités de villes, de villages, de quartiers… tous répondirent ‘présents’ au point que l’opération ‘Télévie’ devint une institution voulue par et pour le peuple. Arsène et Jean-Charles se dévouèrent sans compter afin qu’aucune complication survenue subitement ne trouve de solution acceptable.
Lors de la venue d’une équipe de RTL dans l’hôpital où était le petit Bruno, la journaliste, en passe de finaliser son reportage, fut subjuguée par la voix d’un tout petit bonhomme, pas plus haut que trois pommes.
- « Bonjour Madame, tu vas nous filmer ? »
La reporter se retourna et vit un petit garçon en pyjama, se promenant accompagné de son perroquet à perfusion sur roulettes. Il tenait de l’autre main une jeune femme qui lui dit :
- « Chutttt Bichon… Laisse travailler la dame. »
La journaliste regarda la fraîcheur de l’enfant et s’agenouillant lui répondit :
- « Oui petit bonhomme, comment t’appelles-tu ? »
- « Mon nom est Bruno mais maman m’appelle Bichon et toi ? »
- « Moi je me nomme Dominique. Tu es bien gentil… Tu es hospitalisé ici ? »
- « Oui. J’ai une leucémie. »
- « Mais, tu vas bien là, non ? »
La journaliste tenta de percevoir le malaise existant chez l’enfant et elle fut surprise de constater que l’enfant avait une force morale hors du commun. De plus, chaque membre du personnel soignant qui le croisait, n’en avait que pour lui, le saluant, l’embrassant et le taquinant même sur la beauté de son pyjama et l’originalité de ses chaussons.
- « Mais dis-moi bonhomme » dit Dominique. « Ce sont des lapins que tu as aux pieds ? »
- « Ben non… ce sont des petits chiens. Tu ne vois pas la différence ? »
L’enfant lâcha la main de sa maman et toucha les oreilles de ses pantoufles.
- « Regarde la belle fourrure. Touche… C’est tout doux. »
Dominique s’exécuta.
- « Ah oui… en effet… c’est soyeux… »
- « Ben non… c’est doux, c’est tout. »
- « Si tu veux, oui » lui répliqua la jeune journaliste. « Bon, Bruno, je vais y aller. Mon preneur du son s’impatiente là-bas. »
Se retournant sur lui-même, le petit garçon ajouta :
- « Il est pressé le garçon ! Vas-y… Tu reviendras me voir après ? »
Interloquée par tant d’aplomb, la reporter se mit à sourire et termina :
- « Oui, promis Bichon. Je termine mon travail et je viendrai te dire au revoir. »
Le petit bonhomme lui donna le numéro de sa chambre et après l’avoir embrassé, Dominique s’en alla tout en se retournant plusieurs fois véritablement subjuguée par tant de spontanéité.
Parvenue à la salle de réunion avec son équipe, la jeune reporter, toujours sous l’emprise de sa fascinante rencontre, ne trouva pas ses mots face aux médecins qui se demandaient le pourquoi de son désarroi. Une infirmière en chef prit la parole :
- « Michel, madame vient de rencontrer notre petit Bichon »
- « Ah ! je comprends mieux votre état… Avez-vous rencontré les parents du petit garçon ? des gens admirables ! »
- « Non, mais cela m’aiderait à conclure notre reportage. Voulez-vous me mettre en contact avec eux s’il vous plaît ? »
- « Je ne pense pas que je doive vous servir d’intermédiaire madame. Ils ont entendu parler de vous et de votre projet. Leur enfant est ‘demandeur’. Il leur a expliqué qu’il désirait parler de sa maladie à la télévision afin de devenir le porte-parole de tous ses petits amis hospitalisés partout. Je transmets votre accord à Chantale et à Philippe dès ce soir si vous voulez et je planifierai la rencontre. Etes-vous d’accord ? »
- « Bien sûr Professeur. Je file au boulot pour finaliser cette partie déjà filmée et je terminerai donc avec ce petit bonhomme. »
Le lendemain, Dominique rencontra les parents de Bichon avant de revoir l’enfant lui-même et ce, pour connaître les désidératas de la famille. En effet, certains proches des familles filmées ne voulaient pas passer dans l’émission afin de garantir leur anonymat. Parler du cancer n’était pas chose facile en 1989… trop d’interdits, de tabous, d’incompréhensions diverses et à tous niveaux. Le terme générique : cancer faisait peur. On préférait éviter de soulever le voile de la découverte et le commun des mortels pensait que les chercheurs ressemblaient à des doux-dingues. Comment réveiller la conscience de ce collectif ? Comment susciter l’intérêt auprès de cette masse humaine ? Fallait-il entrer dans la vie privée d’un petit nombre et dévoiler leur secret pour attirer la sympathie de tout un peuple ? Etrange questionnement. Et pourtant Arsène en était convaincu.
Assis à une table de la cafétaria, autour d’un petit déjeuner, Arsène, Chantale, Philippe, Jean-Charles et la journaliste Dominique apprenaient à se connaître.
- « Merci Monsieur Burny de nous permettre de nous exprimer » dit la maman inquiète.
Arsène essaya de la rassurer et répondit :
- « Madame, je »
- « S’il vous plaît », répliqua-t-elle. « Si nous devons partager un bout de chemin de nos vies avec vous, ne serait-ce pas plus plaisant et convivial de nous appeler par nos prénoms ? »
Arsène acquiesça puis reprit :
- « Je te remercie Chantale pour tant de confiance et je te promets que notre projet est noble. Il est nécessaire de trouver un moyen pour éveiller la conscience du collectif humain, si nous ne le faisons pas aujourd’hui, il sera de plus en plus difficile au monde médical de financer la recherche. »
La maman raconta que deux ans après la naissance de son petit garçon, elle avait remarqué que celui-ci ne bougeait pas comme un enfant dit ‘normal’. Il était apathique, le teint blafard, continuellement fatigué et ne souriant jamais, ce qui, bien sûr, l’inquiétait de plus en plus. Le pédiatre qui avait suivi la naissance, conseilla aux parents de Bruno de se rendre à la clinique pour enfants de Bruxelles où le gamin subit toute une batterie d’examens. La conclusion ne se fit pas attendre et le diagnostic tomba très vite : leucémie. Le petit homme, bien que courageux, ne put s’empêcher, durant une période, de perdre pied et la maman demanda aux médecins s’il n’était pas possible de dormir auprès de lui. A cette époque, les enfants malades étaient considérés comme de ‘petits’ adultes et étaient traités de la même manière à savoir : rationnellement. Ce n’était pas la méthode la plus appropriée ; ne pouvant exiger d’un enfant d’agir comme un adulte. Etant considéré comme grande personne, il fut refusé aux parents de dormir sur place, ce qui dérouta le petit et mis hors d’eux Philippe et Chantale. Devant dans un premier temps se battre contre la maladie, ils se voyaient également confrontés à la froideur d’un système administratif leur refusant ce que la décence et l’humanité auraient dû, au contraire, leur octroyer. Arsène et les médecins spécialistes dans le traitement de la petite enfance, bien conscients du problème, se réunirent et mirent en place une organisation visant à améliorer les conditions d’hospitalisation des petits enfants ainsi que de leurs parents. Avec la naissance de l’opération Télévie, certaines barrières furent abattues, démolies, laissant place à un système tout neuf d’intercommunication entre parents, enfants malades, et personnel soignant au grand complet. Mais pour en arriver à cette méthode, les parents de petits malades dits de longues durées eurent des jours plus que pénibles.
Chantale raconta que son petit se vit hospitalisé et qu’il dût subir une chimiothérapie assez astreignante. Pour ce faire, on le plaça dans une chambre stérile, sans aucun contact physique que ce soit avec ses parents ou les infirmières. Les seules relations physiques permises s’accomplissaient avec moult précautions : les infirmières devaient être habillées d’une combinaison hermétique ne laissant apparaître que leurs yeux, d’un masque leur couvrant le nez et la bouche, de gants en latex, de couvre chaussures et comme tout l’attirail se devait être renouvelé à chaque visite ou examen, inutile de spécifier que les contacts se voyaient restreints au strict minimum. Bruno avait une force de caractère hors normes et profitait le plus possible de chaque visite, posant des questions sur tout ce qui lui arrivait, cherchant à savoir le pourquoi du comment de chaque instant et s’incrustant positivement dans le traitement qu’il se devait de supporter. Le but de la chimiothérapie était d’éliminer de son corps toutes les cellules dites à croissance anarchique. Si ce traitement était efficace contre les mauvaises cellules, les bonnes s’en voyaient, elles aussi, éliminées ; ce qui affaiblissait le malade n’ayant plus aucune défense immunitaire contre les attaques extérieures à savoir, virus, bactéries ou autres. Le corps subissait de nombreuses vagues de changement et la plus impressionnante n’en restait pas moins que la chute des cheveux. Le crâne mis à nu, le petit garçon en riait. Un soir, Chantale venue lui tenir compagnie mais se trouvant de l’autre côté d’une paroi en plexiglass, l’entendit poser des questions au spécialiste qui le suivait :
- « Mais pourquoi j’ai la diarrhée continuellement et que je vomis sans cesse ? » demanda-t-il.
- « Parce que les médicaments de ta chimiothérapie ne sont pas intelligents et qu’ils détruisent à la fois les mauvaises cellules présentes dans ton sang mais aussi les bonnes comme celles qui se situent dans tes muqueuses digestives comme dans ton estomac ou tes intestins… Quand ces cellules se reformeront, tous ces effets secondaires se calmeront. »
Bruno cherchait sans cesse à comprendre, à connaître le moindre détail.
- « Et pourquoi j’ai du sang dans une poche ? Je n’en ai plus assez dans mon corps ? »
Le spécialiste cherchait les bons mots…
- « Si Bichon, tu en as mais il est trop pauvre. Là aussi la chimio a tout abîmé, y compris le nombre de tes globules rouges dans ton sang… et sans globules rouges, il n’y a plus assez d’oxygène pour nourrir tes organes et te donner de l’énergie. En plus on te remet également des plaquettes. Ce sont des cellules qui vont aider la coagulation et tu n’auras plus d’hémorragies. »
- « Et pourquoi vous devez vous cacher derrière des tabliers, des masques ? » répliqua le petit garçon.
- « Parce que tes globules blancs sont trop peu nombreux. »
- « C’est quoi çà ? »
- « Les globules blancs sont les petits soldats de ton corps. Ils voyagent dans le sang et protègent ton organisme d’une quelconque attaque de bactéries ou de virus. Et nous devons éviter de te transmettre ce genre d’infections… Il y a des usines à soldats dans ton corps et il faut simplement qu’elles ne fassent plus grève. Tu comprends ce que je te dis ? »
- « Bien sûr. Ca veut dire que quand mes soldats seront plus nombreux et plus forts, on pourra m’enlever d’ici, de cette chambre stérile ? »
Le docteur toucha les mains du petit, qui, au contact du latex se rétracta.
- « Je sais, Bruno. Ce n’est pas agréable mais prends patience… dans deux ou trois semaines, on verra plus clair et je pense que tu iras mieux. »
Bichon rassuré se recoucha, croisa les jambes et dit malicieusement :
- « Bon… d’accord… j’aurai un cadeau si je tiens bon ? »
Le spécialiste éclata de rire et rétorqua :
- « Promis Bichon ! Je te promets que si ta prise de sang est très bonne, nous te sortirons d’ici. »
Le petit garçon le regarda droit dans les yeux et de la main, les doigts en forme de pistolet pointé dans la direction du docteur, dit :
- « Tu as intérêt à tenir ta promesse mon pote ! »
Le professeur sortit de la chambre dans un grand éclat de rire.
- « Voilà comment est mon petit bonhomme » dit Chantale après avoir narré cette histoire. « Il est phénoménal et c’est mon modèle de vie…
Le silence pesait dans la salle de conférence. Arsène, pour couper court à cette lourde ambiance dit :
- « Penses-tu Chantale, que Bichon puisse devenir le porte parole de notre mouvement ? Je ne veux pas que cette aventure lui porte préjudice. Il ne doit, à aucun moment, se sentir invulnérable. Il doit garder dans un petit coin de sa tête que cette leucémie peut revenir. »
La maman, se leva et alla se placer face à la fenêtre sans mot dire.
Arsène voyant son désarroi, se leva et alla la prendre dans ses bras.
- « Je sais que la route sera difficile et longue. Je ne peux rien te promettre. Il réagit bien au traitement mais les marqueurs leucémiques sont toujours présents. Il a reçu sa dernière perfusion hier et les résultats sont … suffisants pour le transférer en chambre normale. Et dans quelques jours… nous verrons. »
Chantale se retourna, regarda Arsène et les délégués de RTL puis dit :
- « Bon, allons-y ! fonçons ! Je sais que Philippe sera de mon avis. Si il doit y avoir un intermédiaire entre votre opération et le public et bien, ce sera Bichon.
Arsène la prit tendrement par les épaules et lui déposa un tendre baiser sur le front.
Les semaines passèrent et Bruno put sortir enfin de l’hôpital. La soirée de clôture arrivait à grands pas et le petit garçon s’investit considérablement dans sa mission, allant de comité en comité, racontant son histoire et expliquant comment la maladie l’avait complètement vieilli. Il le disait lui-même : ‘C’était comme si sa vie se déroulait en accéléré. Chaque mois vécu semblait monopoliser une décennie complète chez Bichon. Il avait une maturité sans pareil ; sa sensibilité accrue agissait comme un aimant auprès du public. Les gens le questionnait, le touchait, le convoitait sans cesse et le petit d’homme se sentait bien dans ce rôle de conférencier. Le Directeur de RTL, Jean-Charles De Keyser le suivait pas à pas, le protégeant de la bêtise humaine. Car de la bêtise… il y en avait. Du style s’adressant à son papa : ‘Ah mon pauv’monsieur. Et dire que dans quelques mois vous n’aurez plus que les images à chérir’. Mais que les gens sont cons !!! Et parfois si il y avait un premier prix à offrir à chaque connerie dite et bien il faudrait une remorque entière pour les emporter.
Le jour tant attendu arriva... 15 avril 1989… La publicité ayant été importante, le taux d’écoute de la chaîne fut mirobolant. Tous les présentateurs de la chaîne s’étaient mobilisés et ce, bénévolement. RTL avait mis tous les moyens techniques au service de l’opération. Des chanteurs participaient à la soirée, chantant durant l’émission. Les reportages filmés tout au long de l’année sur les épreuves vécues par certaines familles de petits malades agrémentaient les images diffusées sur l’antenne. A chaque apparition en direct de Bichon, le public présent témoignait son attachement en lui promulguant de longues périodes d’applaudissements nourris. Arsène prit plusieurs fois le micro pour, lui aussi, parler des projets prévus donnant suite aux sommes récoltées. Il insista et réinsista sur le fait qu’un franc versé au profit du Télévie allait être un franc versé pour la recherche. Le Professeur Burny ‘LA’ sommité en la matière, avait le don de captiver les foules. Son sourire enjôleur venait à propos et rassurait les gens sur le fait qu’il ne fallait pas diaboliser cette maladie… Il fallait simplement se donner les moyens de la combattre. Chercheur lui-même à la Faculté d’agronomie de Gembloux, il savait que pour trouver, il fallait au préalable chercher. Et bien sûr, pour chercher, l’argent supplantait tout. Des pin’s à l’effigie de l’opération avaient été vendus ainsi que des bics et bonbons en forme de cœurs. Sur le plateau, les différents représentants des plus grosses sociétés du moment se suivaient afin d’offrir leur participation monétaire. Nana Mouskouri parraina l’émission et fut subjuguée par ce petit bonhomme sur de lui et si avenant devant les caméras. Un compteur égrenait les résultats franc après franc et quel bonheur de voir la soirée se terminer sur un montant de 81.274.280 francs belges, à savoir 2.014.737 euros. Pour un petit pays, le résultat était plus qu’honorable et Arsène fut fier d’exhiber un tel chèque final.
Tout au long de l’année, les gens se réunirent et s’organisèrent en comités de village, de villes, de régions ou bien de simples quartiers. Des manifestations eurent lieu à divers endroits, organisant des journées sportives, des brocantes, des braderies, des marchés artisanaux, des divertissements divers. Partout, le cœur rouge du Télévie apparaissait. Jean-Charles savait qu’en diffusant une telle émission une année, il serait obligé de remettre le couvert l’année suivante voir même plus, et ce, jusqu’à ce qu’Arsène lui dise que le but était atteint. Malheureusement, l’année suivante, le Télévie dut à nouveau être organisé car bien que la recherche avançait, la maladie existait toujours. Le petit Bichon grandissait et était devenu ‘LA’ mascotte de cette quête.
Deux ans après le grand lancement, les spécialistes apprirent à ses parents que ses globules vivaient à nouveau un dérèglement flagrant. Admis à nouveau à l’hôpital, le diagnostic tomba : récidive de leucémie. Cette fois, ce fut plus important et une greffe de moelle osseuse dut être pratiquée. Bien que plus que courageux, la maladie l’affaiblissait terriblement mais il n’abandonna pas. De son lit de la clinique, et via RTL, il rameuta le peuple francophone. Ce fut par centaines que des organisations voyaient le jour et organisaient des manifestations. Certains groupements théâtraux jouèrent des pièces de vaudeville au profit du Télévie ; des clubs sportifs mirent au point des journées participatives et tous les athlètes mettaient un point d’honneur à s’aligner. Tennis de table, tennis, cross, rallye 2 roues ou 4 roues, décathlon, marathon, danses artistiques… tous les exercices furent représentés. Il n’y avait pas que le sport mis à l’honneur mais aussi les réunions en salles comme les soupers, goûters divers ou simplement verre de l’amitié.
Ce fut difficile mais Bruno parvint une nouvelle fois à la rémission.
23 mars 1996. Bichon, qui avait retrouvé une bonne forme, se trouvait sous le chapiteau du Télévie pour commenter ce qui devait être ‘son’ dernier baroud d’honneur. Il se donna à fond, animant et présentant l’émission de la clôture de l’opération. Rien ne laissait présager qu’il ne serait plus là l’année suivante.
Dans le courant des mois suivants, Bichon dut se rendre de nouveau à l’hôpital. Le docteur accueillit les parents dans son cabinet et dit :
- « Madame et Monsieur Hendrickx… » dit calmement le spécialiste. « Je dois malheureusement vous annoncer que votre fils se trouve en pleine récidive. La chimiothérapie ne donne pas les résultats escomptés. »
De la main, Philippe le papa, se cacha la bouche ; ne sachant pas que dire. Il l’avait remarqué que son petit ange de maintenant 11 ans n’en pouvait plus. Et pourtant, il se battait mais la maladie évoluait très vite. Le médecin continua :
- « Nous allons le transfuser à nouveau et dans quelques jours, nous le laisserons regagner ses foyers. Je sais que dans deux semaines aura lieu la soirée de clôture du Télévie mais cette fois, je ne peux que vous conseiller de garder Bruno chez vous. Il n’aura pas la force de s’investir. Son combat est… autre part. Vous comprenez ce que je veux vous dire ? »
Chantale regarda tristement Philippe.
- « Mais pourtant, il était si bien toute cette dernière année… je »
- « Non madame » répliqua le docteur. « Il vous semblait bien mais la leucémie est une maladie sournoise et je peux vous assurer que nous avons tout tenté. Une nouvelle greffe de moelle n’est plus envisageable. Je… je ne sais que vous dire si ce n’est qu’il est important de le combler et de tout faire pour le rendre heureux. Le temps va vous manquer et j’en suis véritablement anéanti. »
Philippe prit la main de sa femme. Lentement ils se levèrent, saluèrent le spécialiste d’un sourire évasif puis partirent pour rejoindre leur petit cœur. Le médecin les regardait quitter son bureau et se sentait tellement démuni. Annoncer une mort tant de fois repoussée n’était pas humain. Il se voyait comme le bourreau d’un espoir tant de fois remis à jour. Là, il ne pouvait plus rien faire, que de les regarder quitter son bureau main dans la main.
Jean-Charles de Keyser savait que son petit ami n’allait pas bien du tout. Il demanda aux parents de voir Bruno qui avait été filmé quelques mois auparavant. Parvenus au chevet de l’enfant rentré chez lui, Jean-Charles accompagné d’Arsène expliqua au petit que le Télévie se ferait malgré son absence. Ils trouvèrent tous deux le jeune garçon affaibli, bouffi par la médication mais souriant. C’était comme si Bichon se sentait soulagé de toute la misère du monde. Il savait…
14 mars 1997 19h. Le journaliste du journal télévisé prit l’antenne, le regard vide, le pin’s du télévie au revers du col de la veste et la photo de Bruno en arrière plan.
- « Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs. Bonsoir. C’est avec une immense tristesse que je dois vous annoncer que notre merveilleux Bichon nous a quitté aujourd’hui matin. Nous saluons ce soir son courage et sa détermination et c’est avec amour que nous lui promettons de continuer la lutte. »
Le Télévie 1997 commença dans la tristesse et malgré la peine qui le submergeait, Philippe avait voulu venir faire acte de présence. Lors des premières images de la prise d’antenne, des photos vinrent défiler en diaporama sur les écrans et Jean-Charles, la gorge nouée annonça lui aussi la mauvaise nouvelle. Il prit dans sa poche une enveloppe, l’ouvrit et en sortit un petit bout de papier sur lequel Bichon avait écrit :
« Désolé mais ce soir malgré toute l’envie que j’avais d’être avec vous, je vais vous faire faux bond. Pour la première fois de ma courte vie, je vais rater ce que j’aimais le plus au monde, la grande soirée du ‘Télévie’. A chaque fois, j’y étais tellement heureux, entouré de tant de gens qui m’aimaient, ça me donnait assez de forces pour continuer à me battre pendant une année entière. Le ‘Télévie’ était devenu une très grande partie de ma vie, j’y croyais, et je me donnais à fond chaque fois, parce que ce combat, cette bataille contre la maladie, est une guerre juste, au même titre que la guerre que mène les parents d’enfants disparus. C’est une lutte contre le mal, sous toutes ses formes, pour que cela n’arrive plus. Mes petites jambes ont couru le plus vite qu’elles le pouvaient sur le chemin de la vie pour ne jamais être rattrapé par le vilain crabe. Mais à force de me battre, et de courir, mes forces m’ont abandonné. Alors, permettez-moi de m’asseoir sur le bord du chemin, et de vous laisser seuls poursuivre la route qui mène vers des cieux plus cléments, où plus aucun enfant ne meurt que ce soit de maladie ou d’autre chose. Le plus beau cadeau que vous pourriez me faire, ce serait de réussir un très beau ‘Télévie’, plein de joie et de gaieté. Je vous embrasse tous très fort. Merci de continuer à lutter pour tous mes copains et copines, et je vous donne déjà rendez-vous en pensée l’année prochaine. Au revoir. Bichon »
Jean-Charles, la gorge nouée retira ses lunettes et d’un geste anodin fit signe à la régie de couper le direct, plaçant à la suite de cette lettre un reportage filmé sur l’enfant tout au long de ces dernières années. Inutile de préciser que le record de promesses de dons fut largement dépassé cette année-là encore. Depuis, le Télévie continue mais à la différence que les sommes récoltées permettaient à chaque fois de permettre aux différents projets de recherches de trouver de nouvelles avancées. Depuis la disparition de Bichon, Arsène annonça chaque année des découvertes comme : les greffes de cellues-souches, ensuite les greffes de cellules-souches de sang de cordon ombilical. La création d’un total en 2013 de 5 banques de poches de sang issu de cordon. En 1989, 1 enfant sur trois mourait d’une leucémie détectée.
En 2013, 92 % des enfants malades de ces mêmes leucémies atteignent la rémission complète. Les progrès sont énormes. Nous en sommes actuellement à cibler les médicaments dits intelligents afin de soulager certaines chimiothérapie par exemple. De plus, on ne soigne plus comme ‘avant’. On ne considère plus les enfants malades comme étant des adultes miniatures mais on les traite comme ils doivent l’être à savoir comme des petits d’hommes fragiles et défavorisés que ce soit physiquement ou moralement. Les infirmiers, infirmières, pédiatres, spécialistes n’ont absolument plus le même comportement qu’en 1989. Ils ont appris de leurs erreurs… Leur métier, valorisé par les avancées de la recherche, n’a plus rien à voir avec les méthodes employées il n’y a encore que 25 ans…
Arsène Burny, est un homme dont le sourire à lui seul permet aux espoirs d’exister. Ce samedi 20 avril 2013 sera le jour du 25ème Télévie… Bichon sera là, dans nos cœurs et dans nos âmes. Il irradiera sur le plateau et de ses ailes, il protègera ‘son’ Télévie.
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Ce récit, n’est pas un conte car tout est réel. Tout s’est réellement déroulé. Bichon a existé et dans mon cœur vit toujours. Il me manque. Il me manque tellement !!! Son courage, son sourire, son intelligence, tout ce qu’il a été est encore bien présent et ce petit bout d’homme a été bien plus qu’un exemple à suivre. Il a été le moteur d’un mécanisme qui, depuis son départ, ne s’est jamais enrayé.
Les gens disent ‘encore ce Télévie’. Quand est-ce qu’ils nous ficheront la paix avec ça ??? Je leur réponds : Vous n’êtes pas à l’abri de vous voir confronté à cet accident de la ‘Vie’ et il sera trop tard pour vous retourner pour voir si vous êtes épaulés lorsque le malheur vous frappera. Cela n’arrive pas rien qu’aux autres ! Aux détracteurs du Télévie qui accuse les organisateurs et participants de tirer profit des dons récoltés, je leur réponds également : « Je fais partie de cette mécanique bien huilée et tout est suivi et terriblement bien orchestré. Chaque euro donné va à la recherche scientifique et ne transite pas par des comptes bancaires annexes. Il y a un système anti-fraude efficace et salutaire. Bien sûr, certains aiment se faire voir mais ce n’est jamais dans un but lucratif mais plutôt dans un ensemble contemplatif.
Le prochain récit sera un « conte » car j’aime faire rêver. Mais ici, mon cœur voulait parler et non mon imagination. C’était un besoin viscéral, comme le besoin de dire « merci » pour ce qui m’est arrivé dans un passé pas encore si lointain. Arsène est un ami. Comment lui dire que sa détermination a fait que je vis encore, que je suis maintenant ce que je suis. Arsène, tu es un génie, un grand Monsieur, un géant du monde scientifique, un savant au grand cœur. Un ami, un vrai… Merci.
Je vous fais de gros bisous et MERCI d'être venu lire ce... récit
Quelques photos :
Arsène :
Et ... mon Bichon :