LA SIFFLEUSE AUX OISEAUX.
Dans une petite ville ancienne, aux vieilles maisons en briques rouges, et aux châssis de fenêtres plutôt pourris, le PVC n’existant pas encore, les toilettes se situaient souvent à l’extérieur et les greniers des bâtisses servaient très régulièrement de pigeonniers. Chaque après-midi, qu’il fasse 30 ou -30 degrés Celsius, après avoir mis les pigeons à l’abri, une toute jeune dame de la rue des Floralies ouvrait de son pigeonniers, deux petites tabatières et admirait sa ville. Il faut dire qu’elle habitait un immeuble de 12 étages sans ascenseur. Elle était la seule à bénéficier d’un grenier vu que son habitat se situait au sommet de l’immeuble. Elle ne possédait pas de poste de radio et sa seule passion consistait dans le fait d’admirer la forme des nuages ou lorsqu’il faisait trop couvert, elle s’entourait d’un édredon bien chaud et se mettait à siffler. Et oui, siffler ! Elle n’avait pas une belle voix pour chanter mais par contre, elle sifflait comme un pinson. Elle jouait juste, sans aucune fausse note. Ses chansons de prédilection étaient toutes d’anciennes balades. Les enfants des années 2010 ne connaissaient certainement pas. Elle sifflait de l’Edith Piaf, du Louis Mariano, du Serge Reggiani, du Ella Fitzgerald, du Billie Holiday et une chanteuse plus actuelle : Beverly Jo Scott. Elle avait le don de choisir les chansons les plus tristes et mélancoliques qui pouvaient exister et sifflait et sifflait encore durant plusieurs heures. Les habitants du quartier avaient pris l’habitude de l’écouter et ce qui était encore plus étrange, c’est que tous les pigeons des environs avaient élus domicile sur les toits des diverses maisons du coin afin d’écouter. On appelait cet immeuble « la cage aux oiseaux ». Madeleine, c’était ainsi qu’elle se nommait, passait sa journée sur les marches de la cathédrale, assise et crochetant des petits gilets de bébés qui, une fois terminés, étaient distribués aux mamans qui avaient de petits boubous. Elle agrémentait son ouvrage de chansons diverses sifflées. Les gens lui jetaient des pièces de monnaies mais ce n’était pas cela qu’elle désirait. Lorsqu’elle sifflait en ville, elle ramassait, bien sûr, la monnaie de toutes valeurs et la donnait à un homme assez âgé, assis près de l’entrée d’un grand magasin, une main tendue et la seconde caressant son chien Timy. Madeleine lui donnait cet argent car n’étant pas poivrot, il se servait de cet argent afin de se nourrir, son compagnon et lui-même. Lorsqu’elle avait donné ces pièces à ce SDF, elle s’asseyait elle aussi à ses côtés, et, écoutait Nestor qui lui, ne sifflait pas mais chantait Ferrat de la plus belle des voix existantes. Madeleine aimait ce chanteur mais ne connaissait pas à la perfection la trame musicale de chaque chanson. Un jour, Nestor vint avec un paquet impressionnant de feuilles sur lesquelles Madeleine ne comprit rien de ce qui y était écrit. Il y avait sur chaque feuille un ensemble de 5 lignes sur lesquelles de drôles de petits points parfois seuls munis d’une queue en l’air, soit noire, soit blanche ou bien encore un ensemble par deux de ces drôles de petits « personnages bizarres ». Nestor dit :
- Je suis venu avec mes partitions ma belle et je vais t’apprendre la musique. J’ai le plus bel instrument qu’il puisse exister : un carillon, celui de cette magnifique cathédrale. Ces partitions sont de véritables trésors car à l’oreille, j’ai recomposé les chansons que j’aimais, il y a Ferrat, Brel, Brassens, Piaf, Reno mais celles-ci, que je t’ai amenées, sont de Maurane. J’aime cette femme. Elle a la voix saoul, folk que l’on ne parvient pas toujours à refaire à l’identique avec un carillon. Tu sais, ces grosses cloches n’ont pas toujours « envie » de suivre le tempo exigé par les créateurs, l’auteur de la chanson et l’inventeur de la musique qui se marient avec les mots. Alors, je refais des partitions pour « mes » cloches. Je ne connais ni ton âge, ni ton métier ma belle ?
Madeleine regarda ce tas de feuilles de papier et cette écriture qui ressemblait plus à des dessins plutôt qu’à des « mots musicaux ». Elle répondit :
- Je suis architecte de jardins mais j’ai abandonné mon travail car les gens n’ont plus aucun plaisir à attendre que la beauté naisse. Il leur faut tout et tout de suite. Quand on plante un tilleul, il faut 20 ans pour voir que cet arbuste se métamorphose en arbre. A l’encontre de cela, lorsqu’il y a un souci, selon eux, au niveau de la rapidité dans les finitions de l’ouvrage, ils mettent le créateur en demeure d’accomplir le travail dans un délai qu’un juge a fixé et le pire de tout c’est que cet homme ou cette femme qui doit exceller du haut de son grade, établit des règles dans un domaine qu’elle ignore complètement et dans lequel, elle peut être d’une nullité sans pareil. Du coup, comme je voulais vivre selon « mon » temps, même si c’était pour donner le résultat à de véritables étrangers, et bien, j’ai laissé tomber la rigueur de ma vie professionnelle pour rechercher autre chose de plus léger ou de plus agréable. Du haut de mes 35 ans, je n’ai encore rien trouvé de valable sauf, à chacun de mes passages, il y a votre voix et le son qui s’échappe de cette guitare. »
Nestor rassembla ses papiers, prit sa guitare et se rendit avec la jeune fille au pied d’un grand tilleul. Il déposa toutes ses affaires, fit signe à Madeleine de s’asseoir le dos contre le tronc de l’arbre puis, prenant sa guitare demanda à sa siffleuse préférée de le suivre de l'oreille musicalement parlant, tout en regardant en l’air.
Le musicien commença une de ses mélodies préférées et Madeleine le suivit. Il s’agissait de « I will always love you » de Whitney Houston. Cette chanson laissait la part belle aux sons qui sortaient de la bouche de la jeune madeleine ; La tête en l’air, ils virent arriver, tous deux plein d’oiseaux attirés par la musique : des pigeons, des merles, des mésanges, des moineaux, des pies, des pinsons, des corneilles, des verdiers, des geais, des pics dont le pic épeiche, des tarins des Aulnes, des bouvreuils, des roitelets et tant d’autres. Les yeux de Madeleine s’illuminèrent. A la fin du morceau, Nestor lui dit :
- Allez, il va être l’heure de notre concert gratuit. Viens-tu avec moi ma Belle ?
Madeleine accepta, regrettant ce moment de pure sérénité, et, tous deux se dirigèrent vers une petite porte dissimulée derrière le beffroi, après avoir demandé à Timy d'attendre leur retour. Au bout de 120 marches d’un escalier tournant, Nestor déposa ses papiers, sa guitare sur la dernière marche et souleva une lourde partie du plancher. Ils entrèrent dans les combles de ce beffroi. Mon Dieu que Madeleine fut émerveillée par la beauté de ces cloches, de la plus grosse à la plus petite. Puis, se retournant, elle vit Nestor prendre place sur un vieux banc devant ce qui ressemblait le plus à un multi-clavier tout de bois fabriqué, et, bien sûr, si ce n’était que les touches avaient la taille de 10 cm sur 5cm et ressemblaient à des palettes en bois. Il accorda son carillon durant quelques minutes. En fait, il tapait du poing sur ce genre de cuillers et chaque coup correspondait à un mouvement d’une des cloches. Le carillonneur se sert également du bois de la charpente de l’édifice pour créer l’harmonie voulue. Nestor commença par une chanson très peu connue « si aujourd’hui » et tout en jouant, dit à Madeleine d’approcher de la barrière et de regarder la réaction des gens. Ce qu’elle vit lui procura des frissons : les habitants ouvraient leurs fenêtres et ceux qui se trouvaient sur la petite place, déposèrent leurs sacs et le nez en l’air, écoutaient et, semblaient apprécier ce qu’ils entendaient.
La seconde musique fit applaudir les gens : « Sur un prélude de Bach ». Tout en jouant, Nestor demanda à la jeune femme si elle connaissait la suivante qui était « L’un pour l’autre ». Elle lui répondit que « oui » au niveau de la musique mais nullement pour les paroles. Il lui demanda de brancher l’ampli, derrière l’imposant clavier en bois et, de prendre le micro… Elle fut tout d’abord apeurée et refusa puis accepta. Nestor après avoir terminé son morceau, joua trois coups de la cloche-mère, appelée « maîtresse ». Les gens savaient en entendant ces trois coups qu’une nouveauté allait être jouée. Nestor laissa Maîtresse se calmer puis l’arrêta avec l’aide d’un patin de jute.
Il regarda Madeleine et lui demanda si elle était prête. Elle acquiesça et notre carillonneur démarra sa musique.
Les gens se regardèrent puis après le début de la chanson, ils entendirent Madeleine joindre sa voix sous forme de sifflet accompagner les belles et fortes réverbérations des cloches du beffroi contre l’imposante structure en bois lui servant de charpente. Les badauds, tout contents de cette nouveauté en oublièrent leurs courses.
Madeleine vint s’asseoir à côté de son nouvel ami qui plaça sa nouvelle partition en place. Il regarda la jeune fille qui lui fit oui de la tête. Ils commencèrent donc leur seconde chanson commune « Mentir ». Cette chanson était quelque peu plus rapide, il fallait donc quelques instants de calme suivant celle-ci. Madeleine se servit de ces instants pour choisir la musique suivante et s’arrêta sur « Des Millions de Fois » et se rendit compte sans l’avoir fait express que le rythme était semblable à la précédente. Il lui fallut donc tout en sifflant chercher un autre titre qu’elle trouva presqu’immédiatement : « Armstrong ». En commençant cette mélodie, elle se leva et retourna à la barrière… Les gens dansaient…
Et si la musique et l’interprétation quelles qu’elles furent, devenaient dans ces tristes temps menés par l’individualisme, l’égoïsme, l’arme fatale que les gens attendaient. Pourquoi pas ? Trop de solitude, de malheurs, de tristesses en ce monde. Et y a-t-il encore une humanité ?
Après deux heures de spectacle, Nestor avait les poings en sang mais dit à Madeleine :
- Choisis-en une dernière. J’annoncerai ensuite avec « Maîtresse » que nous allons terminer. Le carillonneur prépara sa partition oh combien difficile à exécuter.
Nestor fut impressionné de voir ce que Madeleine avait choisi. La partition portait le nom de « Suzanne » et étaient interprétées à la guitare par Graeme Allwright et Maurane à l’interprétation vocale. Madeleine se plaça avec la guitare de Nestor et joua ce morceau tout en sifflant pendant que Nestor caressait une avant dernière fois son clavier. L’homme ne savait pas que la jeune fille aimait effleurer les cordes d’une guitare. Il fut au septième ciel durant ce morceau de splendeur musicale. Ensuite, le carillonneur lança les trois coups de « Maîtresse » et à la fin du troisième se servit du patin afin de calmer son ronflement.
Puis, Nestor et Madeleine terminèrent par l’hymne de la ville.
Redescendus de ce paradis aux cloches qui n’avaient rien à voir avec celles venant de Rome, Nestor apprit à Madeleine les portées, les notes à y placer, leur signification et après une année complète, Madeleine se retrouva seule à monter ces 120 marches…
Nestor perdit la vie, après avoir perdu le contrôle de ses neurones, de ses mots, ses souvenirs, ses gestes, sa marche, sa parole et ses relations.
Madeleine changea juste, après la mort de Nestor, la chanson « suzanne » dans le composite musical par celle de Maurane portant le titre « Dernier voyage ».
Le jour, Madeleine étudiait les centaines de partitions, et, après avoir montré à certains membres du clergé qu’elle était capable de reprendre cette agréable tâche, elle reçut l’accord de l’Evêque et du Conseil communal.
Par la suite, elle fut couronnée première carillonneuse du pays. Elle étudia et s’engagea à fond dans cette fonction. Maintenant, le carillon jouait du lyrisme, du Brel, du Cabrel, du Maurane, de l’Isabelle Boulet, du Goldman, du Dion, du Reno, du Roussos, du Cocciante, du Sheller, du Ferrat, du Piaf, du Nolwenn Leroy et cela n’était qu’une petite partie des possibilités développées par cette petite Madeleine en hommage à son ami Nestor. De plus elle parvint à faire reconnaître ce beffroi comme patrimoine intemporel de l’UNESCO.
Toujours aussi triste qu’au jour du départ de son ami lorsqu'elle se trouvait au sommet, et redescendue les 120 marches avec le sourire retrouvé, elle se rendit chaque jour, même les jours de pluie ou de tempête, d’été ou d’hiver, et, grâce à l’énorme tronc du tilleul qui lui servait de caisse de résonnance, elle jouait et chantait la chanson de Céline Dion : « I’m Alive » ce qui voulait dit « je suis en vie » et tous les oiseaux chantaient avec elle.
Les gens, qui, venaient la saluer après son spectacle au-dessus du beffroi, donnèrent à cette jeune femme le nom de « la siffleuse aux oiseaux ».
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La vie n’est rien si elle n’est pas faite de douceur, d’amitié, de découvertes et surtout de partage. Si la solitude s’y fait patronnesse, la mort s’installe. J’allais expliquer quelque chose de nouveau long ...mais après tout, cela ne servirait à rien d'expliquer cela... donc je laisse ce texte écrit de cette manière...
Bonne lecture mes amis.
Gros bisous