Voici mon nouveau conte... "Un certain hiver..."
Je n'ai pas voulu m'arrêter à la saison "hiver" mais inclure à ce conte la problématique de la solitude vécue par nos aînés à l'hiver de leur vie par comparaison au printemps de la vie vécu par les plus jeunes d'entre nous.
Je vous souhaite une bonne lecture
et surtout donnez-moi mos impressions car je vous le répète : je suis comme un môme qui attend ses jouets le soir de Noël... héhé
Gros bisous à tous !
Chantal
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Un certain hiver…Adhémar était un sénior de 90 printemps. Seul depuis 12 ans, il passait ses journées à naviguer d’une pièce à l’autre du magnifique petit manoir qu’il habitait et qu’il avait lui-même construit pierre par pierre. Sa demeure se perdait dans un univers de terres de culture, de pâtures, de vergers et d’immenses forêts. Le temps passé donnait une patine hors normes au domaine mais Adhémar se faisait vieux et la charge en entretien devenait de plus en plus pénible pour lui. De noblesse il n’en avait plus que le nom : Comte Adhémar Pierre Alexandre de Diksmuide d’Exaerde. Il n’était pas riche mais ne se privait de rien non plus. « A quoi bon se priver », disait-il… « L’argent ne me suivra pas au Petit Vert ». Il avait raison, nul n’était revenu du cimetière pour assurer aux villageois que la bonne chère était de mise chaque jour au paradis.
La casquette vissée sur la tête, les charentaises aux pieds et le plumeau à la main, Adhémar vaquait aux tâches ménagères quand on frappa à la porte :
- « Hé ho !... il y a quelqu’un ? … Hou Hou Monsieur le Comte, où êtes-vous ? Je vous apporte votre courier. Monsieur le Comte Ho Hé ??? »
Adhémar arriva.
- « Ah c’est toi gamin. Dis donc, ton collègue n’est pas moins qu’un gros cochon. Hier il a entassé les encarts publicitaires, les enveloppes et les journaux dans la boîte aux lettres comme un fouteur de merde ! Tu le lui diras. »
- « Oui Monsieur le Comte, je lui demanderai de faire plus attention la prochaine fois. »
Vincent était le facteur attitré du domaine ; il venait chaque jour sauf, bien sûr, lorsqu’il prenait un jour de repos. Il tendit les missives au vieil homme qui lui montra la cuisine en prenant son courrier.
« « Viens Vincent, on va se boire un bon café. » Le jeune homme lui emprunta le pas et vit que le vieil homme marchait de plus en plus mal. Bien évidemment, le poids des années se faisait sentir de plus en plus mais Adhémar prenait soin de cacher le moindre de ses maux, surtout si le facteur l’honorait de sa présence.
- « Pose ton cabas gamin… Toujours une larme de lait et deux sucres ? »
- « Oui Monsieur le Comte, avec plaisir. »
Le Comte avait posé les enveloppes sur le coin de la table.
« Vous avez du courrier provenant de Bruges… Votre fils sans doute ? »
« Oui hum… » répondit sans plus le vieillard.
« Voulez-vous ouvrir ce courrier Monsieur le Comte ? De cette façon je vous laisserai le temps d’y répondre et je reprendrai votre réponse à poster aujourd’hui même. »
« Ne t’en fais pas mon ami. Je vais la lire. » Il déposa une tasse remplie de café fumant et odorant juste en face du coursier et lui tendit une assiette pleine de bonnes galettes.
- « Tiens gamin, elles sont d’hier. » Il prit l’enveloppe en provenance de Bruges et de son pouce l’ouvrit.
Vincent ne voulait pas paraître curieux et donc s’exécuta en évitant de regarder le Comte.
Celui-ci déploya une lettre écrite à l’encre noire. Les lunettes sur le bout du nez, Adhémar parcourut l’écrit en fronçant les sourcils.
- « Il ne manque plus que çà !!! » dit-il, lançant la lettre sur la table.
- « Que se passe-t-il Monsieur le Comte ? Des ennuis ? »
Le sénior replia ses lunettes qu’il glissa dans la poche poitrine de sa chemise, en-dessous de son petit gilet.
- « C’est une lettre de mon fils Charles-Edouard. Il a des ennuis avec son fils Maxime et m’annonce qu’il aimerait que j’héberge le gamin quelques semaines pour essayer de lui remettre les idées à l’endroit. Son père lui a payé de belles études ; il lui a acheté un bel appartement à Gand au centre ville et l’a engagé dans son étude notariale après qu’il ait reçu son diplôme de droit. Il a tout ce qu’il veut, sa mère, ma belle-fille élève ses deux jumeaux Pierre-Yves et Pierre-Antoine pour leur donner une bonne éducation après qu’il ait foutu sa femme à la porte. Les deux enfants ont un précepteur qui leur procure tout l’enseignement nécessaire et ce con de Maxime ne fait que des conneries. Là il a magouillé et a failli envoyer son père au tribunal. Charles-Edouard ne sait plus que faire avec ce brigand… »
Adhémar s’arrêta de parler se rendant compte qu’en 30 secondes il avait donné au jeune facteur une masse d’informations que celui-ci tentait d’analyser.
- « Je ne savais pas que vous aviez des enfants, des petits-enfants et… des arrières petits-enfants ? »
- « Si gamin, j’ai 6 enfants : deux fils dont l’aîné Charles-Edouard, 4 filles, 13 petits-enfants et 8 arrières petits-enfants. » Le vieil homme regardait intensément le fonds de sa tasse puis dit :
- « Que dois-je faire !!! j’ai 90 ans… je ne suis pas en âge d’avoir un gamin dans les pieds même si il a déjà 28 ans. »
- « Si vous voulez mon avis Monsieur le Comte, il n’y a que vous pour remettre votre petit-fils sur les rails. »
Le sénior déposa sa tasse et dit :
- « Et puis, je ne l’ai plus vu ce gamin depuis que ma chère Adèle m’ait quitté. »
- « Comment cela ??? il n’est plus venu depuis ??? Il avait donc 16 ans la dernière fois qu’il est venu ici ? »
- « Oui gamin ! Depuis que leur grand-mère et arrière grand-mère est décédée je ne les ai plus vu. »
- « Aucun ? Aucun de vos enfants… enfin, personne ? ni même vos filles ?
- « Non… Bah tu sais, il n’y a que des vieilles pierres ici… il n’y a pas de télévision, juste un poste de radio… encore moins d’ordinateur. Je déteste la technologie sauf si elle sert mon confort. J’ai une énorme serre chauffée où je fais croître mes orchidées et là oui j’ai de la technologie qui commande l’arrosage, qui contrôle la température et l’humidité. Mais à part cela… je n’y connais rien et les gamins ne voient que par tout ce modernisme. Que vais-je faire ? Si je dis non, c’est sûr je ne reverrai plus jamais personne. »
- « Et oui Monsieur le Comte, dites oui et vous verrez au jour le jour. »
- « hum… » Le vieil homme se leva et alla regarder au travers du vitrail. Il ouvrit la fenêtre. La vue était sublime de cet endroit.
- « Je contemple les avancées des diverses saisons de cet endroit. Regarde gamin… d’ici on domine la forêt et l’automne est tout bonnement féerique. Tu sais j’ai reçu Claude Monet ici et André Guillaumin. Ils m’ont d’ailleurs donné chacun deux de leurs toiles en remerciement du gîte offert. Elles sont dans le grand salon et j’aime à me dire qu’un jour un de mes petits-enfants se pâmera devant la beauté de ces chefs-d’œuvre. Tu vois, j’ai tout ce que je veux rien qu’en jetant un œil dehors. A chaque seconde un nouveau tableau s’imprime dans mon esprit. Dieu qu’Adèle se plaisait lorsqu’elle s’asseyait là, sur la petite terrasse, le châle sur les jambes. Tant qu’elle vivait, ils revenaient tous pour les vacances d’hiver. On en a passé des fêtes en famille ! Des journées à se bagarrer dans la neige… » il soupira longuement… « Mais c’est fini tout cela… maintenant j’attends la caravelle qui m’emmènera rejoindre ma chère épouse. »
Vincent se leva et le rejoignit. Il posa sa main sur l’épaule du nonagénaire.
- « Ne dites pas cela Monsieur le Comte. Dites… et si votre petit-fils n’était pas fait pour le notariat mais bien pour la vie plus calme et plus fraîche… un peu comme celle que vous connaissez ici. »
Adhémar le regarda incrédule… Il n’avait jamais pensé à cela. Pourquoi pas après tout ! Le petit n’aime peut-être pas la vie que son père lui avait commanditée. Et si Vincent voyait vrai, si Maxime se plaisait au manoir… Et si…
Le vieil homme quitta la cuisine et dit :
- « Suis-moi gamin ! »
Adhémar d’un pas assuré, ayant retrouvé toute sa vigueur, se dirigea vers l’arrière de la maison. Il ouvrit une porte et Vincent découvrit une nouvelle pièce : le bureau de Monsieur le Comte. Il n’était jamais entré plus en avant dans cette belle demeure et n’avait pas assez de ses deux yeux pour admirer la beauté de la décoration, la richesse des meubles en chêne. Le sénior rechaussa ses lunettes, ouvrit son secrétaire, saisit, une feuille, un stylo-plume et inscrivit sur le papier « qu’il vienne. Ton père. »
Il déposa la missive dans une enveloppe, indiqua le nom et l’adresse de son fils sur le recto de celle-ci et apposa le sceau du manoir sur le verso.
- « Voilà. » dit-il. « Que Dieu me vienne en aide ! »
Vincent se mit à sourire et répliqua :
- « Vous avez bien fait Monsieur le Comte, vous verrez. »
- « Et je dois te croire sans doute ? » Le comte referma le pupitre, reprit le chemin emprunté quelques minutes auparavant tout en disant :
- « Allez viens Vincent. J’ai besoin d’un verre. Il n’est que 10h mais je m’en fous. J’ai besoin d’un porto ! Tu vas en prendre un avec moi ! Referme la porte derrière toi.
- « Mais… j’ai ma tournée Monsieur le Comte… »
Le vieil homme se retourna, le fusilla du regard et répliqua :
- « Tu m’as mené au front. On ne refuse pas un verre au condamné… Viens ! Si les gens se plaignent de ton haleine, j’irai t’excuser auprès du percepteur des postes. »
La semaine passa très vite. L’hiver arrivait à grand pas lui aussi. Adhémar le voyait au « V » que formaient dans le ciel grisâtre les canards en passant au-dessus de la maison.
- « Ils vont s’alimenter à la réserve » dit-il à voix feutrée. « Tiens », continua-t-il, « le rut est terminé, il faudra que je reprenne chaque deux jours le chemin des abris en lisière de forêt pour donner à manger aux biches et cerfs. Les faons vont bientôt venir au monde et les mères auront besoin de forces pour les allaiter.»
Adhémar savait que la fin de l’automne allait amener aux alentours de la demeure toute une faune que la nature ne parvenait plus à nourrir. Il se devait alors de placer du foin, des feuilles mortes, du bois et des granules dans les réservoirs. Il lui fallait également transporter de l’eau fraîche chaque jour car le gel figeait l’eau dans les abreuvoirs.
Un lundi, vers 14h, le Comte entendit un moteur s’arrêter à hauteur de la barrière séparant le domaine de l’allée de 50 mètres bordée de chênes de part et d’autre. Il se leva et soulevant le rideau regarda par la fenêtre. Il vit un jeune homme, très grand, de noir vêtu, une valise à la main gauche et tenant une veste en cuir dans la main droite. Voyant qu’un homme le dévisageait, Maxime posa son bagage et lança un salut du bras au « vieux monsieur » derrière la vitre.
Adhémar replaça le rideau calmement et alla ouvrir l’imposante porte d’entrée.
- « Et bien ne reste pas là ! Viens gamin ! Tu n’es pas très matinal, je t’attends depuis plusieurs heures maintenant. »
Le jeune homme enfila sa veste. Il ne faisait pas très chaud à cette période, en cette fin d’automne, et plus que dans les années passées, l’hiver s’annonçait à grand fracas. Les feuilles des forêts étaient tombées et formaient deux tas immenses dans l’imposante cours et dans la double allée. Maxime fut impressionné par le caractère « carré » du manoir, la magnificence des vitraux des dix fenêtres de la façade avant. L’allée double couverte de gravier disposé avec méticulosité, menait au manoir comme deux bras terminés par deux mains le menant à la bouche de la demeure à savoir la lourde porte cochère. Il s’arrêta, regarda sa voiture et eut soudain l’envie de revenir en arrière et de courir vers elle afin de s’y engouffrer et fuir, mais il se calma, prit une longue inspiration et continua son chemin vers la maison où l’attendait au-dessus des escaliers le vieil homme.
- « J’ai cru que tu allais t’enfuir » lui dit le grand-père.
- « J’y ai pensé Papy, j’y ai pensé. »
- « Je sais » répliqua le vieil homme. « Entre, je t’ai préparé une blanquette de veau, elle est chaude au coin du feu. Tu occuperas la chambre de ton père. Tu te souviens de l’endroit ? »
- « Oui Papy. »
- « monte y déposer ta valise et rejoins-moi en cuisine. Nous mangerons. »
- « Tu n’as pas mangé Papy ? »
- « Non, je t’attendais Maxime. »
Le jeune se sentit gêné. « Et si je n’étais pas venu ? »
- « Et bien j’aurais fait preuve de jeun. »
Maxime regarda son grand-père.
- « Souris gamin ! Ici ce n’est pas l’étude de ton père. Tu es chez moi et il n’est pas interdit de faire preuve d’humour. »
Le repas prit, les deux hommes passèrent au salon ; l’un la pipe bourrée en main et l’autre pianotant sur un drôle d’appareil rectangulaire, plat et lumineux.
« Dis-moi Maxime, que fais-tu avec cette boîte qui n’arrête pas de chanter et de vibrer ? »
- « C’est un smartphone Papy, c’est avec ce téléphone que je communique avec mes potes. «
- « Tu communiques ??? sans parler !!! Ils sont extralucides tes amis ? »
- « Mais non Papy… maintenant on communique par messages écrits que ce soit en sms ou en mails. »
- « Bien ! » dit Monsieur le comte. « Je ne comprends rien à ce que tu racontes mais je dois te dire qu’à partir de maintenant, il va y avoir un temps pour communiquer comme tu dis et un temps pour à consacrer à ta vie au manoir. Je te demande de le fermer et de le ranger dans ta chambre. »
Le jeune homme fit une grimace mais s’exécuta.
Le lendemain, Maxime se leva et descendit en pyjama. Il remarqua que son grand-père était déjà parti. Il regarda autour de lui et vit un bout de papier collé sur la fenêtre de la cuisine. Ce message disait :
« Je suis parti aux abris aux cervidés. Rejoins-moi. Tu n’auras pas difficile à trouver le chemin… il a neigé, suis mes pas ! »
Max jeta un coup d’œil vite fait au travers de la vitre. Le paysage était sublime. Le manteau blanc immaculé se répandait à perte de vue. Il devait y en avoir 10 ou 12 centimètres. Oh pas pour crier au secours mais juste assez pour donner un côté magique à tout le domaine. Les branches des centaines de sapins pliaient sous le poids de la neige. Très vite, il avala deux galettes, but une tasse de café et remonta les escaliers quatre à quatre afin de s’habiller.
- « Bon sang, le vieux se lève aux aurores ici ! Je ne suis pas habitué à cela. Je n’ai pas de bottes en caoutchouc, tant pis, je vais mettre mes baskets. »
Dans la cuisine, un habitué hurlait :
-« Hé ho Monsieur le Comte… Ouh Ouh il y a quelqu’un ? »
Maxime descendit les marches en boutonnant sa chemise.
- « Oui, moi ! Et vous êtes ? » adressa-t-il à Vincent.
Le postier s’avança et lui tendit la main.
- « Je suis Vincent, le postier du domaine… Vous êtes Monsieur Maxime, le petit-fils de Monsieur le Comte n’est-ce pas ? »
Le jeune homme enfila sa veste, négligeant de rendre son salut à Vincent.
Celui-ci regarda sa main puis reprit ses esprits.
- « Je place le courrier sur le rebord de la table. J’ai vu votre grand-père dans la vallée. Il vous attendait depuis déjà deux heures. Allez-vous le rejoindre ? »
- « Oui » dit Maxime en sortant à l’extérieur et en prenant comme ligne de conduite les traces laissée par le vieil homme.
Le facteur, un brin décontenancé par la froideur de son interlocuteur peu bavard, déposa la pile du courrier, saisit une galette et quitta la demeure tout en refermant la porte de la cuisine derrière lui.
Maxime s’enfonça dans la nature endormie du domaine. Trop attentif à ne pas perdre les traces de pieds, il ne remarqua pas les beautés environnantes qui s’offraient à son regard. Une voix se fit entendre.
- « Te voilà enfin ! cela fait quelques heures que je t’attends et ne te voyant pas arriver, je me suis mis en marche pour le retour. Dis-moi, que vois-tu depuis ton départ du manoir ? »
Le jeune homme surpris par la question, s’arrêta de marcher et dit :
- « Rien que de la neige, rien d’autre à perte de vue. Tu ne dois pas toujours rire ici Papy. »
- « Rire ??? si par toujours rire tu veux me dire que cela ne doit pas être simple tous les jours en hiver au domaine, et bien tu as raison. Mais j’ai mes pieds, mon courage et ma volonté. Par contre », regardant les chaussures de sport de son petit-fils, « toi tu dois avoir les pieds mouiller avec ce genre de… chaussons aux pieds. Ici, on agit en interaction avec la nature. Tu trouveras une paire de bottes en cuir dans une des dépendances. Maintenant que tu es là, je veux que tu te poses, que tu fermes les yeux et que tu écoutes. »
- « Ecouter quoi Papy ? »
- « Tais-toi et fais ce que je dis ! »
Maxime resserra son col de ses deux mains, fit silence et ouvrit son esprit. A sa droite, il entendit la neige dégringoler des branches par paquets et ensuite le léger craquement de l’épicéa soulagé de ce surplus de poids. Intéressé par cette soudaine prise de conscience, le jeune homme s’accroupit et toucha le sol. Il ressentit le froid envahir ses doigts pour remonter le long de son bras et cette sensation le fit tressaillir. Il enfuit ses mains dans ses poches mais écouta à nouveau. Surpris par un bruit sourd il se retourna de peur. Il vit une ombre se faufiler entre les arbres. Etait-ce un animal ? Certainement pas un véhicule, il n’y avait aucun son motorisé. Il fronça les sourcils comme pour intensifier sa vue. Soudain, il vit le corps d’un cerfs majestueux sortir de la forêt.
- « WOUAH ! » cria-t-il. Le grand-père lui fit signe de venir se mettre à couvert avec lui. Inquiet de cette découverte Maxime fixa le cervidé. Ce dernier s’avança de quelques pas. Humant l’air, le jeune cerf adulte tapa des bois sur le tronc de l’arbre tout proche puis, relevant la tête dans un geste noble, se mit à raire en fixant les deux hommes.
- « Ne bouge pas gamin »chuchota le vieil homme à son petit-fils. « Il nous nargue. Il protège son territoire, sa harde. »
Le daguet, fier de sa suprématie, fit demi-tour et disparut dans la forêt.
- « WOUAH et RE-WOUAH ! Dit Maxime. « Je n’ai jamais vu un tel animal d’aussi près ! C’est beau Papy.
Content de l’enthousiasme de son petit-fils, Adhémar lui dit :
- « Ce que tu viens de voir, c’est un jeune mâle de 1 à 2 ans maxi. Il m’a suivi, je l’ai entendu. Il s’est assuré que je quitte la proximité de sa harde. »
- « Un harde ? C’est son troupeau ? »
- « Oui » répondit le vieil homme. « Il est depuis cette année le patron d’une harde de 50 biches. Il devait peser 120 kilos à vue de nez !. Tu as vu sa façon de nous dire qu’il était le seul dirigeant ? »
- « Oui… cette façon de frapper la tête contre les arbres. Cela me glace les sangs ! »
- « Il s’est mis à frayer gamin, c’est ainsi que cela se nomme. Il frotte ses bois contre l’écorce des arbres pour les aiguiser en quelque sorte. Là il a son pelage marron foncé et sombre de l’hiver, plus épais pour garder sa chaleur corporelle. Mais c’est encore un daguet… un jeune quoi ! Un vieux mâle ne se serait pas approcher de nous comme cela. Ici, il a l’insouciance qu’il perdra dans l’avenir. Au printemps, ses bois tomberont pour mieux repousser tout au long de l’été et son pelage sera plus clair dans des nuances de gris. Tu as de la chance de l’avoir vu aujourd’hui car c’est un honneur qu’il nous a fait en se mettant en danger hors de la forêt. Crois-moi gamin, tu es chanceux ! »
Maxime ne cessait de fixer l’endroit où s’était accomplie cette belle rencontre.
Perturbé il se mit à scruter les environs et dit au vieil homme :
- « Il y a d’autres animaux ici Papy ? »
Le comte jeta un sac en jute à terre et répliqua :
- « J’avais anticipé ton envie de découvrir mon paradis gamin. Il y a mes bottines en cuir dans cette toile. Je veux que tu les mettes et nous avancerons. »
Le jeune homme s’exécuta, échangeant ses chaussures mouillées contre une vieille paire de bottines sèches. Il emprunta le pas à son grand-père bien conscient qu’il venait d’entrer dans un monde captivant qu’il ne connaissait pas mais qu’il désirait découvrir à l’avenir.
Regardant la marche hachée du vieux comte, le jeune Maxime luit dit :
- « Papy, as-tu encore l’énergie de m’emmener plus en avant dans ce magnifique domaine ? »
- « Ne t’en fais pas pour moi bonhomme ! Ce soir nous irons coucher tôt ».
Le terrain se fit soudain plus facile, plus plat et certainement plus ouvert aux coups de vent.
- « Maxime, viens avec moi… Un principe de base quand tu veux surveiller les animaux. Ne jamais te mettre dans leur museau. »
- « Je ne comprends pas Papy. Que veux-tu dire ? »
Adhémar lui expliqua que les animaux avaient l’odorat beaucoup plus affiné que les humains et que se trouver face aux diverses bourrasques leur ramenait l’odeur humaine directement dans les naseaux.
- « Si tu veux qu’ils ne fuient pas ta présence, tu dois te cacher ; d’abord de leur vue et ensuite de leur nez développé. Sans faire attention à cela, ils vont détaller en vitesse. »
Soudain le Comte s’arrêta et dit :
« Ecoute ! »
Maxime ouvrit les tympans et entendit :
« TAP, TAP, TAP, TAP… TAP, TAP, TAP… »
- « A ton avis gamin qu’as-tu entendu ? » dit le vieil homme.
- « Je ne sais pas Papy… comme un coup de baguette sur un tronc creux mais… un son répétitif. Tu sais toi ce que c’est ? »
- « Oui Maxime. C’est la façon utilisée par le garenne pour prévenir ses congénères que nous approchons de leurs différents terriers. Le lapin frappe incessamment le sol de la patte arrière. Ce son se répercute dans tout leur habitat et cela les met en constante attention. Vois là-bas, regarde les deux petites oreilles pointer ! »
Le jeune homme vit un lapin assis sur le postérieur, les oreilles dressées comme deux « i », le museau en l’air.
- « Tu vois, il scrute notre arrivée mais comme nous sommes à contre courant, il ne parvient pas à détecter l’endroit exact où nous nous trouvons. Si nous allons plus en avant, il va apercevoir nos déplacements et il se cachera au fond de son terrier. Et il n’en ressortira, avec sa famille, qu’une fois certain que le danger est écarté. »
La traque visuelle continua quelques heures. Adhémar remarqua que la journée allait bientôt se terminer et il signala à son petit-fils qu’il était temps de rentrer.
De retour au manoir, Maxime demanda à Adhémar de lui présenter la demeure sous un autre coup d’œil ce qui lui plut réellement. Etait-ce gagné pour le vieil homme ? Avait-il touché le cœur de son petit-fils ? Etait-il parvenu à le conquérir en une seule journée ?
Dans le salon, à la lueur du seul feu de bois, Maxime prenait plaisir à questionner le Comte sur le passé du domaine. Ils se rendirent compte que la nuit était entamée depuis déjà plusieurs heures et terrassés par la fatigue, ils montèrent tous deux se coucher.
Les jours passèrent ainsi que les semaines et le jeune homme avait pris beaucoup de bonheur à vivre avec son grand-père. Un soir Adhémar lui demanda :
- « Gamin… maintenant que je te connais mieux et que tu as appris à vivre dans mon monde, puis-je te poser une question ? »
- « Bien sûr Papy, pose-moi ta question… »
Le Comte regarda le jeune homme, cherchant à percer dans son comportement un quelconque stress puis lui dit :
- « Veux-tu devenir notaire, à la ville, comme ton père dis-moi… »
Maxime assis dans un fauteuil, auprès de l’imposante cheminée du salon, toute rougeâtre de par les assauts des flammes du foyer, regarda le vieil homme. Il se leva, se plaça derrière son grand-père, le prit dans ses bras et répliqua :
- « J’ai 28 ans, j’ai deux petits garçons que maman garde depuis bien trop de temps en alternance avec mon ex épouse. J’aimerais contacter ma femme et voir avec elle si elle pouvait me pardonner mon passé… Si par bonheur et par amour elle parvenait à me donner une seconde chance, serais-tu d’accord que nous venions nous établir auprès de toi ? J’ai perdu trop de temps, trop d’énergie… Je me suis perdu dans cette quête de vouloir ressembler à…, de vouloir être le copier coller de mon père. Je sais qu’il voulait mon bonheur et je l’admire pour cela mais ma vie est ailleurs. Je l’aime, j’aime mes parents et ils le savent mais je ne suis pas et ne serai jamais un rat des villes, je veux devenir un rat des champs… Peux-tu nous accepter ici ?
Adhémar décroisa les jambes, saisit les bras de son petit-fils et lui dit :
- « Mais que fais-tu encore là… Cours brancher ton engin de malheur de smartphone… Appelle ta femme… et si elle veut de cette vie, dis-lui qu’un vieux croûton aimerait connaître ses arrières petits-fils avant d’aller embrasser son épouse au petit Vert. » Ils éclatèrent de rire.
- « Oh merci Papy… Si tu savais… Bon Dieu si tu savais… je n’osais pas te le demander avant. J’aime ce manoir, j’ai appris à m’emmurer dans ces vieilles pierres et oh… merci mon Papy. »
Le jeune homme monta les marches quatre à quatre… Adhémar le regarda courir comme un cabri. Il leva les yeux sur la peinture au mur représentant son épouse.
- « Adèle, je crois que le petit va nous ramener les siens… Ne m’en veux pas, ils vont salir de leurs bottines crasseuses et toutes crottées ton splendide parquet mais je te le promets… Je le cirerai tous les jours si tu l’exiges. Je t’aime ma douce… Tiens-moi une place auprès de toi mais… pas tout de suite, j’ai le temps… »
De cet hiver il ne restait rien… rien qu’un souvenir aigre des hivers passés ; un souvenir bien vite gommé par l’espoir naissant des étés joyeux à venir…
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Voilà ce conte... N'oubliez pas... nous arriverons tôt ou tard à l'hiver de nos vies respectives nous aussi...
Prenez soin de vous et des vôtres.
Je dédie de conte au papa de MamanRej et à tous les papas, et papy que vous connaissez tous et toutes
Gros bisous
Chantal